La Guinée-Bissau n’a pas basculé dans la crise le 26 novembre. Ce que certains appellent un « nouveau coup d’État » est en réalité l’ultime étape d’un processus engagé depuis des mois : une élection contestée avant même d’être proclamée, deux camps revendiquant la victoire, un climat de suspicion, et une armée qui finit par s’ériger en arbitre politique.L’effondrement n’intervient jamais le jour où les militaires apparaissent à la télévision. Il commence longtemps avant — le jour où la confiance disparaît.

En Afrique de l’Ouest, le phénomène est désormais récurrent : on ne s’inquiète pas quand les dirigeants manipulent les règles, mais seulement quand les militaires interviennent. Pourtant, la mécanique est connue. Quand les Constitutions se tordent, quand les mandats s’allongent, quand l’alternance devient une menace, l’élection cesse d’être une solution et devient un détonateur.

Sur le papier, la CEDEAO et l’Union Africaine ont été créées pour empêcher précisément ce type de dérive. Dans les faits, leur image s’est progressivement dégradée. Si elles se montrent rapides à sanctionner les coups d’État militaires, elles gardent trop souvent le silence lorsque des dirigeants modifient les Constitutions, recalent le calendrier électoral ou s’accrochent au pouvoir au mépris des règles. Résultat : pour de nombreuses populations, la CEDEAO et l’UA sont perçues non comme des remparts démocratiques, mais comme des syndicats de présidents en exercice.

Dès lors, les citoyens se tournent vers d’autres figures de légitimité. L’armée, malgré ses risques et ses dérives, finit par être vue comme la seule force capable de “punir l’abus” lorsque les institutions ne le font plus. Bien sûr, les coups d’État ne résolvent rien à long terme : ils affaiblissent l’État, fracturent davantage la nation et installent des cycles de méfiance. Mais émotionnellement, ils apparaissent comme une réponse à l’injustice institutionnelle. Et c’est là le véritable drame.

La crise de la Guinée-Bissau n’est donc pas un accident isolé. C’est un signal adressé à tous les pays de la région où la tentation d’adapter les mandats, d’interpréter les Constitutions et de verrouiller les successions demeure forte. On ne stabilise pas un pays en jouant avec la patience des populations. L’Histoire le rappelle : on peut contourner les règles pendant un temps, mais on ne contourne jamais indéfiniment un peuple.

L’Afrique de l’Ouest n’a pas besoin de plus de militaires. Elle a besoin d’institutions qui défendent les règles avant qu’elles ne cassent, d’instances régionales qui protègent les peuples avec la même fermeté qu’elles protègent les dirigeants, et d’une alternance vécue non comme une menace mais comme un mécanisme normal de respiration démocratique.

Les coups d’État ne sont pas la cause du chaos : ils sont le symptôme. La cause, c’est l’effondrement de la confiance.

Tant que les Constitutions resteront malléables, tant que les scrutins seront perçus comme des duels et non comme des choix, tant que les institutions régionales ne diront rien aux puissants mais tout aux militaires, chaque élection restera une crise à retardement. L’Afrique de l’Ouest n’a pas besoin d’un rappel. Elle en a déjà un, sous les yeux : la Guinée-Bissau n’est pas une surprise, c’est un avertissement.

Paul Olivier

Paul Olivier

Journaliste diplômé de l'ULB (Université Libre de Bruxelles, Paul Olivier est passionné des nouveaux médias ainsi que de la coopération au développement. Ayant travaillé dans plusieurs médias internationaux, Paul Olivier aime particulièrement l'investigation et et les questionnements de notre temps liés aux enjeux.

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